L'ÉDTUDE DE CAS DANS L'ENSEIGNAMENT DE L'HISTOIRE....

 

DARIER Gilles, lycée Gabriel Fauré, Annecy, IUFM de GrenobleIER Jean-Marie, lycée de la vallée du Cailly, Déville-les-Rouen
En la red: http://www.ac-rouen.fr/hist_geo/pdg/1h/edc/edc.htm

 Pour le lycée, la pédagogie par étude de cas en histoire est une innovation des nouveaux programmes de première. Ce procédé nous est connu puisqu'il forme l'armature du programme de géographie en seconde. Cependant pour cette classe et en histoire, les textes officiels ne mentionnent pas explicitement l'étude de cas même si les propositions didactiques appelées "entrées possibles" semblent en suggérer la faculté. Les documents qui accompagnent les nouveaux programmes d'histoire du cycle terminal, définissent longuement l'étude de cas, elle est présentée comme " une des démarches pédagogiques utilisables pour que les élèves écrivent et apprennent de l'histoire". L'approche proposée pour construire une étude de cas historique est sensiblement la même que pour l'enseignement de la géographie en seconde: dossier documentaire structuré autour d'une problématique majeure, mise en perspective....

Cette présentation pose problème à l'enseignant d'histoire- géographie surtout s'il a une formation d'historien. Peut-on accepter sans réticence en histoire une démarche pédagogique qui serait une simple transposition d'une pratique de la géographie? Comment mettre en œuvre une étude de cas qui véritablement permette d'apprendre et d'écrire de l'histoire ?

  

I- L'étude de cas, une méthode validée par l'histoire savante:

 1 L'étude de cas, une méthode heuristique négligée par les historiens?

 L'histoire en France a longtemps été dominée par les courants historiographiques (l'Ecole des Annales, l'histoire sérielle, le structuralisme... avec Fernand Braudel, Ernest Labrousse, Pierre Chaunu, Emmanuel Leroy-Ladurie) qui mettaient l'accent sur les grandes structures, l'étude des masses, les longues périodes notamment dans les domaines social, économique et culturel. L'ambition de ces auteurs était d'aboutir à une explication globale du monde et surtout des conditions de vie des populations négligées par l'historien traditionnel. Même si l'histoire scolaire est restée attachée à une histoire événementielle donnant de grands repères, elle a intégré les courants historiographiques issus de l'Ecole des Annales. Les documents qui accompagnaient le programme de 1997 insistait encore sur "la perspective de longue durée", sur "l'ensemble des phénomènes structurels qui constituent le cadre de l'existence des hommes". Il n'était pas question d'étude de cas.

 

Pourtant, depuis les années 50, l'étude de cas ou microanalyse est un des fondements de la recherche historique. Beaucoup de grandes synthèses s'appuient sur une monographie régionale ou locale notamment dans l'histoire rurale. M. Jean-Pierre JESSENNE, professeur à l'Université de Rouen remarque que la période 1955 - 1980 a constitué les " Trente glorieuses " de l'histoire rurale par la démarche monographique, une période marquée par de grandes thèses. Les plus connues sont celles de P. Goubert sur le Beauvaisis, d' E. Le Roy Ladurie sur le Languedoc. Chez tous ces auteurs, la démarche est similaire: ils étudient une région ayant eu une existence historique mais dont les limites spatiales ne sont jamais définies en fonction de l'objet d'étude, ils tentent de prendre en compte tous les aspects de la vie rurale pour peindre un tableau d'ensemble.

 

 2 L'étude de cas, une méthode revisitée par la microstoria:

 

L'étude de cas historique a été profondément renouvelée par certains historiens qui ont initié une réflexion novatrice sur le passé en développant ce que l'on appelle la microstoria ou micro-histoire. Ce courant novateur apparaît dans les années 1970 en Italie à l'initiative de chercheurs tels Carlo Ginzburg, Giovanni Levi ou Carlo Poni... Carlo Ginzburg utilise comme source primaire les procès en sorcellerie menés par l'Inquisition. Son œuvre majeure, le Fromage et les vers reconstitue les démêlés d'un meunier du Frioul (Italie), Domenico Scandella dit Menocchio avec les inquisiteurs. Ginzburg réussit quasiment à entrer dans la tête de cet illustre inconnu; il restitue l'environnement social et intellectuel de Menocchio, les réseaux tissés à l'échelle locale, l'influence des livres sur la pensée hérétique.

 Cette tentative est d'abord un moyen de se rapprocher de l'individu oublié par les historiens qui parlent des groupes sociaux uniquement sous l'angle de la représentativité statistique. En effet, beaucoup de chercheurs sous l'influence de l'Ecole des Annales rejettent dans leurs études l'analyse de l'individu au profit du collectif, l'analyse du contingent au profit du régulier, faisant disparaître le singulier de la production historique. Seule semble compter l'adéquation aux grandes lois et aux grandes structures de l'histoire. Pour Carlo Ginzburg, "il faut partir du sable dans l'engrenage. Si on prend les règles pour point de départ, on risque de tomber dans l'illusion qu'elles fonctionnent, et de passer à côté des anomalies. Mais si on part des anomalies, des dysfonctionnements, on trouve aussi les règles, parce qu'elles y sont impliquées."

 Ce nouveau versant de l'histoire souligne en outre l'intérêt des sources non traditionnelles: les mémoires et les journaux personnels des simples soldats sont pour ces chercheurs souvent plus significatifs que les rapports officiels sur les combats. La "microstoria" est avant tout une histoire de chair et de sang qui refuse que l'histoire des ouvriers se limite à l'histoire de la classe ouvrière laquelle est plus celle des syndicats, de leurs dirigeants et de leurs idées que celle du prolétaire.

 Cependant la micro-histoire ne veut pas seulement raconter des sagas individuelles ou observer des petits groupes au niveau local. Elle veut mettre en perspective les données obtenues en les confrontant aux processus généraux, elle veut montrer les modalités d'élaboration et les enjeux des conduites individuelles. Le but est de prouver que les hommes ne sont jamais soumis passivement à des pouvoirs supérieurs, qu'ils ne sont pas des êtres essentiellement déterminés par des structures économiques, sociales et mentales. Cette approche micro-historique réhabilite l'individu en tant qu'acteur alors que l'historiographie française, préoccupée davantage par les structures et les explications macro-sociologiques, a longtemps écarté cette idée.

  

3 La microanalyse et le renouvellement historiographique en France:


Cette démarche a influencé de nombreux chercheurs français qui, sur cette lancée, ont renouvelé la monographie traditionnelle notamment dans le domaine de l'histoire rurale.

 M. Jean-Pierre JESSENNE cite le travail de Jean Vassort, Une société provinciale face à son devenir : le Vendômois aux XVIII et XIXè siècles, Publications de la Sorbonne, 1995. Jean Vassort construit son récit à partir d'itinéraires individuels comme la vie de Pierre Bordier, un laboureur aisé. L'ouvrage n'est pas qu'une simple monographie mâtinée de micro-histoire car l'auteur étudie les activités et spécialisations agricoles suivant les terroirs, les structures sociales et la paysannerie, les réseaux relationnels et les rapports à l'espace, la mobilité interrégionale. Par là l'entreprise se rapproche même d'une étude de cas géographique, une véritable géohistoire en quelque sorte.

La logique micro-historique a aussi influencé l'approche des biographes. La biographie traditionnelle a été marquée par l'histoire des grands personnages historiques, elle fut souvent " superficielle, anecdotique, platement chronologique, sacrifiant à une psychologie désuète, incapable de montrer la signification historique générale d'une vie individuelle." L'histoire biographique fut d'ailleurs rejetée dans les années 50 et 60 comme méthode valable d'analyse historique. Cependant depuis les années 80, on assiste à un renouveau de la biographie historique dont un des symboles est sans doute le Saint Louis de J. Le Goff. Dans son ouvrage, l'auteur ne se contente pas de retracer la vie d'un personnage historique de façon linéaire et quasi hagiographique, il met l'individu au cœur de son époque, le fait " réceptacle, au carrefour d'événements, de courants, ou de mouvements que son récit de vie rend plus tangibles". Le lecteur accède à ce que J. Le Goff appelle « le sujet globalisant »

 Ce renouvellement de la biographie intègre les apports les plus récents de l'histoire sociale et culturelle, les critiques de P Bourdieu et certaines conceptions de la micro-histoire. Désormais l'historien ne doit pas seulement réinventer l'étude des grands personnages, il doit aussi se faire le biographe des personnages inconnus de la grande histoire. Ces personnages célèbres ou non "représentent bien plus qu'eux mêmes et chacun à sa manière exprime quelque chose de collectif dont ils ne peuvent s'abstraire" L'individu est acteur mais aussi produit d'une époque qu'il illustre et même mieux incarne rendant plus concrète l'évolution générale d'une période. Cette vie individuelle mise en perspective facilite l'interprétation d'une période dans son ensemble. La biographie devient donc une véritable étude de cas.

Depuis la fin des années 1980, l'essor international de la microstoria qui a redonné le goût du singulier, le regain de l'histoire politique avec René Rémond, la multiplication des commémorations (à commencer par le bicentenaire de la Révolution) qui ont redonné de l'importance aux repères chronologiques, ont remis en selle l'événement et le moment historique de courte durée. En effet, jusque là les auteurs de l'histoire-synthèse influencés par le structuralisme et le marxisme ne laissaient que peu de place à l'événement, simple particule agglomérée à d'autres dans la trame du temps. Les annalistes et nombre de leurs épigones rejetaient explicitement comme objets d'étude les dates et les batailles qualifiées d'accidents qui ne pouvaient pas faire comprendre le sens. Pour ces chercheurs, les actions des princes, leurs décisions n'étaient rien en comparaison des déterminismes qui pesaient sur eux. Enfin les événements n'apportaient que des changements mineurs par rapport à ce qui résistait, à ce qui perdurait dans les façons de vivre et de penser. Le changement s'inscrivait essentiellement dans la durée, la succession créatrice des événements.

 Malgré ce rejet majoritaire, la durée n'a jamais été avant 1980 la seule et principale trame de l'histoire. Georges Duby fut l'un des tout premiers à réintroduire l'événement, longtemps banni, dans l'historiographie. Son Dimanche de Bouvines est en effet construit autour d'un récit de bataille, l'événement historique par excellence. Cet événement, la bataille de Bouvines est porteur d'un changement essentiel (il le précipite même). Ce 27 juillet 1214, le roi de France Philippe II Auguste ne remporte pas seulement à Bouvines une grande victoire sur l'empereur Otton IV de Brunswick, allié du roi d'Angleterre Jean sans Terre. Il remporte un duel, perçu comme un jugement de Dieu qui «consacre la monarchie capétienne» dans les esprits. Cette victoire est mise en perspective dans son contexte politique, social, économique et culturel. L'ouvrage n'est donc pas qu'un simple récit de bataille où transparaît émotion et sentiment, il nous parle aussi de la guerre et de la société médiévale dans son ensemble. L'histoire d'un événement permet ici d'accéder à une échelle plus large et permet de tirer des conclusions qui intéressent toute l'histoire médiévale. Reconnaître la place de l'événement rappelle aussi l'importance du hasard et de l'imprévu en histoire et évite le risque d'une conception téléologique.

 Pierre Nora aussi ne bannit pas l'évènement comme objet historique , il veut «...souligner, dans l'événement, la part du non-événementiel... ne faire de l'événement que le lieu temporel et neutre de l'émergence brutale, isolable, d'un ensemble de phénomènes sociaux surgis des profondeurs et qui, sans lui, seraient demeurés enfouis dans les replis du mental collectif. » La réhabilitation de l'événement est ici partielle, il ne cherche pas à en promouvoir un récit parfaitement objectif, il veut prêter attention à sa signification et s'attache à en déchiffrer les implications, à en apprécier le retentissement dans les consciences. Il veut écrire une histoire de France non pas en racontant «les évènements pour eux-mêmes, mais leur construction dans le temps, l'effacement et la résurgence de leur signification ; non le passé tel qu'il s'est passé, mais ses réemplois permanents, ses usages et ses mésusages, sa prégnance sur les présents successifs ; pas la tradition, mais la manière dont elle s'est constituée et transmise. Bref, ni résurrection, ni reconstruction, ni même représentation : une remémoration. »

 De cette ambition naît le concept de lieu de mémoire qui finit par recouvrir non seulement des événements mais aussi des territoires, des édifices, des monuments, des livres.... L'analyse de ces lieux de mémoire est conçue comme une étude de cas et elle se fait en référence à trois entités : la République, la nation, la France. Il s'agit de percevoir ce qui fait la singularité de notre pays, l'identité nationale et sa pérennité à travers la succession des générations.

Ainsi la microanalyse qu'elle soit monographie, biographie, réflexion sur un événement ou un lieu de mémoire a trouvé sa place dans l'historiographie et a prouvé sa légitimité. En aucun cas, ce qu'on peut tout aussi bien appeler étude de cas ne vient remplacer la macro-histoire encore dominante. Les acquis de l' Ecole des Annales sont fondamentaux. Mais aujourd'hui rien n'empêche le chercheur et l'enseignant d'entrer dans l'histoire par un événement, un personnage, un monument ou un lieu.

  

II L'étude de cas en histoire, quelle transposition didactique pour quel intérêt pédagogique?

 

1 De l'étude de cas historique à l'étude de cas comme démarche pédagogique:

 Ce bref et peut-être trop rapide aperçu historiographique justifie la microanalyse en histoire. L'enseignant n'a donc aucune raison d'hésiter à l'employer en histoire sous prétexte qu'elle n'est qu'un décalque des pratiques de la géographie.

 Certains objecteront qu'il y a loin de la démarche heuristique à la démarche pédagogique. Cependant, l'enseignant ne doit pas rester éloigné de la recherche : elle doit pénétrer sa classe. L'enseignement et la recherche doivent maintenir des relations. L'enseignement de l'histoire en France a toujours voulu refléter autant que faire se peut les grands débats historiographiques. " Si l'histoire scolaire fait ses choix pour répondre à ses exigences propres, elle ne peut pas sans craindre une rapide sclérose et une perte de sa légitimité sociale, se priver des apports de l'histoire dite savante ni ignorer ses injonctions".

 Si étude de cas il doit y avoir, si elle doit être l'occasion d'un certain renouvellement et surtout si elle veut être historique, elle peut au moins retenir certains principes évoqués dans l'aperçu historiographique ci-dessus.

Pour initier les élèves au raisonnement historique, une étude de cas devrait se faire:

 

1. A une grande échelle: c'est à dire au niveau local ou régional, au niveau de l'individu ou d'un petit groupe, d'un monument, d'une œuvre d'art...

2. L'objet historique questionné n'est pas étudié seulement pour lui-même mais il est contextualisé ou mis en perspective.

3. Cet objet n'est pas seulement représentatif, exemplaire ou illustratif d'une règle générale, il doit être aussi singulier car l'histoire est complexité.

4. Dans le mesure du possible, l'objet doit s'incarner, prendre vie. Il faut mettre en avant des comportements d'individus à la fois acteurs de leur propre histoire et créations de leur époque.

5. L'étude de cas doit viser à une conceptualisation, à la formulation d'idées sur les phénomènes analysés. Le savoir acquis est alors transférable à d'autres situations.

6. Elle doit présenter une unité de moment, de lieu, de personnes..... Si la seule unité est un concept ou une problématique, elle entraîne une dispersion et l'analyse n'est plus l'étude d'un cas.

  

2 Les enjeux pédagogiques de la démarche par étude de cas:

 Réaliser ainsi la microanalyse présente des avantages pour l'enseignement. Elle multiplie les angles de vue, montre que l'évolution historique est complexe, qu'en deçà d'une histoire mondiale ou nationale, il y a une histoire locale voire des histoires individuelles ( une histoire vécue comme une géographie vécue). L'étude du singulier soulignant le pluriel des comportements, donne de la chair à l'histoire, de l'importance à l'homme donc au citoyen et ne le réduit pas à une masse soumise aux grandes lois de l'évolution historique. Une microanalyse est un changement d'échelle et comme en géographie, elle montre que jouer sur les échelles ne revient pas à représenter un réel invariant en plus grand ou en plus petit; cette modification permet de discerner des mécanismes originaux et de se forger une vision différente.

L'étude d'un cas peut aussi être l'occasion de faire comprendre à l'élève que l'événement est le plus souvent une construction de l'historien ou d'une mémoire collective idéalisant le passé. Qu'il y a souvent loin entre ce qui a été vécu par les contemporains et ce que l'histoire ou la mémoire ont retenu comme moment fort de la période.

 La microanalyse a été surtout pratiquée et apparaît surtout pertinente pour une histoire s'intéressant aux aspects économiques, sociaux, culturels ou aux mentalités. Elle peut sembler moins viable pour faire ou enseigner une histoire centrée sur des phénomènes éminemment politiques quoiqu'on puisse l'expérimenter dans certains cas. Montrer comment dans un moment de bouleversements politiques et institutionnels à l'échelle d'un pays, on réagit localement; montrer quels sont les appréciations, les représentations, les moyens d'appréciation et de représentation dont un groupe d'individus disposent, montrer comment ils intègrent les nouvelles règles du politique venues d'ailleurs.

Cependant se pose alors le problème de recomposer une synthèse pour éviter l'impression d'émiettement.

 L'étude de cas peut aussi permettre de faire évoluer l'enseignement de l'histoire. Les travaux de réflexion issus des recherches de la psychologie cognitive militent pour une meilleure prise en compte des stratégies mentales de l'individu dans l'acquisition des savoirs et savoir-faire. Or l'étude de cas invite à une démarche de type inductif qui s'appuierait sur une pédagogie d'exposition, de découverte et de recherche. Dans les cours magistraux ou dialogués, l'élève joue souvent un rôle peu actif et perd beaucoup de motivation du fait qu'il ne voit pas immédiatement où l'enseignement mène. Cette méthode ne développe pas les capacités d'analyse, de synthèse et de jugement et ne favorise pas les changements d'attitude. Avec l'étude de cas, les élèves participent activement à un processus, ce qui entraîne une forte implication de leur part dans le processus d'apprentissage. On apprend comment chercher, comment sélectionner l'information, comment porter des jugements motivés et on apprend des autres élèves, si le travail se fait en petits groupes. L'enseignant peut aussi espérer que l'étude de cas apprendra à apprendre et développera les capacités d'analyse, de synthèse et d'évaluation.

 Pour ce faire, l'enseignant présente à sa classe un ensemble de documents variés sur lesquels les élèves effectuent un travail en autonomie. Ils identifient les documents, font l'inventaire des données, les classent selon des catégories puis énoncent des idées générales. Cette besogne leur permet de traiter des informations nouvelles à partir de leurs acquis qu'ils soient notionnels, conceptuels ( savoirs préalables ou pré-requis) ou méthodologiques ( savoir-faire). L'enseignant part donc de l'expérience des élèves et relie le sujet aux connaissances qu'ils possèdent déjà. Sinon, il se heurtera à un mur d'incompréhension et l'exercice sera inefficace. Au contraire, si le savoir et les savoir-faire existants de l'élève sont utilisés, celui-ci se sentira valorisé et entrera plus volontiers dans l'exercice. Sur cette base, les élèves sont invités à faire des choix , à formuler des hypothèses, à tenter de les vérifier. Ils prennent conscience de l'insuffisance de leur savoir antérieur et demandent de l'aide au professeur lorsqu'ils en ressentent le besoin. Chaque élève peut travailler seul à son propre rythme ce qui permet de mieux gérer l'hétérogénéité d'une classe. Cependant le mieux serait de favoriser le travail en équipe, en petits groupes plus stimulants.

 L'étude de cas ne peut en aucun cas se contenter des aspects très descriptifs ou énumératifs d'un phénomène, elle ne peut pas porter sur un thème trop général. Le choix du cas et le choix des documents supposent la détermination d'une ou de plusieurs problématiques clairement identifiées. L'objectif est d'adopter une démarche d'enquête: l'élève doit résoudre un problème, être conscient d'un enjeu scientifique. En s'approchant d'une telle démarche, certains partageront peut-être l'excitation que fait naître toute recherche. Dans la mesure du possible, il faut donc poser le cas en utilisant des documents variés (images, texte, carte...) qui décrivent des individus confrontés à des décisions, des dilemmes, des documents qui confrontent des opinions ou visions différentes, qui introduisent une controverse. Il faut aussi mettre l'élève dans la position de pouvoir critiquer les sources documentaires qu'ils utilisent, une démarche essentielle en histoire. Il doit comprendre que les documents n'ont rien d'objectif. De fait, cette démarche nécessite une véritable mobilisation de l'élève, dans l'idéal il doit pouvoir s'identifier à la situation, aux personnages et à l'enjeu. Plus l'étude de cas correspondra à des enjeux de société, plus l'histoire a des chances d'apparaître comme une science humaine capable de motiver les élèves.

 Cette pédagogie recourt à des habiletés de communication. Elles dépendront des objectifs méthodologiques définis au préalable. La trace écrite peut prendre plusieurs formes en fonction du support documentaire (dossier, vidéo, pages web...). L'élève peut aboutir à la rédaction d'une synthèse mais aussi à un tableau ou à un organigramme. Il faut échafauder un bilan des phénomènes et des notions à retenir. L'évaluation pourra demander à l'élève de reproduire partiellement un cheminement analogue, à partir des mêmes problématiques et de documents de même type. Elle pourra être simplement la vérification des compétences ou des connaissances et notions acquises lors de l'étude de cas.

En effet l'étude de cas est construite autour de notions ciblées. L'enseignant doit donc identifier avec précision les concepts qu'il entend approcher. Que ce soit dans l'étude des documents ou la mise en perspective, il faut se garder de tout encyclopédisme. Le cas doit être représentatif d'un des thèmes au programme, mais en aborder tous les aspects est impossible en quelques heures et avec quelques documents. Le dossier documentaire a un contenu limité, il ne peut épuiser toute la richesse d'un thème. La mise en perspective quant à elle doit bien confronter le cas à une réalité plus étendue, plus complexe mais elle doit rester modeste et partielle.

 

 3 Les limites d'une démarche:

 Une étude de cas comme un exposé magistral transmet des informations, des connaissances, des concepts mais elle ne doit être vue que comme un complément précieux à l'exposé magistral ou au cours dialogué. L'enseignement par étude de cas comporte certaines limites. La microanalyse est chronophage, elle prend plus de temps que la simple prise de notes sous dictée et elle introduit malgré toutes les précautions de la contextualisation les risques de l'émiettement du savoir. Le cas présente une situation particulière, souvent limitée à un genre de problème et les perspectives restent incomplètes; cela peut affecter la compréhension d'un phénomène historique. L'étude de cas peut entraîner à la longue une certaine lassitude liée à la répétition d'une démarche identique. Elle se fonde sur l'existence de pré-acquis qui ne le sont peut-être pas vraiment. La démarche déductive du cours dialogué (partir de la règle générale pour l'illustrer par des exemples, confronter des hypothèses aux faits puis construire une explication) ne peut être ignorée des élèves. Elle est au fondement de certains exercices de baccalauréat comme la composition.

  

III Comment procéder face à la classe?

 On peut définir l'étude de cas en histoire comme une situation-problème mettant en relation un lieu donné, un moment donné, un objet donné, un problème voire un personnage avec l'époque dans lequel il s'inscrit. Ce cas est–il porteur au-delà de lui-même d'une histoire plus large ?

  

1 L'étude de cas en histoire comprend deux moments forts:

 Ces deux moments sont amplement définis dans les documents d'accompagnement.

L'étude de cas s'appuie sur un dossier documentaire dont l'analyse se déroule en plusieurs étapes. La classe effectue une lecture très attentive du dossier lui permettant d'élucider avec l'aide de l'enseignant ou d'un outil quelconque certains problèmes de compréhension (vocabulaire par exemple). Ensuite les élèves tentent d' identifier la nature du ou des problèmes posés par le dossier. L'enseignant les amène à dégager des pistes de problématisation et à formuler un questionnement susceptible de conduire la phase d'analyse. Ils sont en situation ici d'acquérir une compétence très utile dans la perspective des épreuves du bac et au-delà.

 Puis, s'engage la phase de repérage des informations permettant de résoudre la problématique et leur regroupement autour de quelques thèmes. Il peut être utile sans que cela soit une obligation de classer les informations dans un tableau de synthèse. Dans ce cas en début d'année de première un ou plusieurs thèmes pourraient être fournis ou bien certaines cases pourraient être pré-remplies pour que les thèmes puissent être élaborés par les élèves. Sinon la réponse à une série de petites questions regroupées par thèmes (donnés ou à élaborer) est une autre manière commune d'opérer. Mais toute autre solution est possible. Il faut simplement que le tout soit articulé autour de deux ou trois grands axes dont l'articulation logique est facilement accessible aux élèves pour que chaque réponse ne devienne pas un isolat dont le sens a disparu. Au terme de cette activité, les élèves sont amenés à construire une réponse écrite ou orale , argumentée et cohérente avec les problématiques définies préalablement.

 Il est nécessaire si la démarche par étude de cas est utilisée plusieurs fois au cours de l'année de varier les activités qui lui sont associées afin d'éviter la lassitude des élèves. Lors de la phase de restitution des informations contenues dans le dossier , l'enseignant peut proposer un travail écrit individuel ( rédaction d'un article de journal avec prise de position, compte-rendu...) par binôme ou par groupe, ou un travail oral du type exposé ou jeu de rôle. Au terme de l'année , si les conditions et le niveau des élèves le permettent pourquoi ne pas essayer de leur demander de concevoir eux-mêmes les consignes et d'élaborer leur propre protocole d'interrogation autour d'un dossier documentaire dépourvu de toute consigne précise. Ils utiliseraient à leur libre choix une partie des apprentissages méthodologiques abordés au cours de l'année et auraient toute latitude pour enrichir le dossier documentaire avec d'autres documents dans la mesure où ceux-ci seraient pertinents. Ce type d'exercice sera pour l'enseignant un moment privilégié pour pouvoir juger du degré d'autonomie acquis par les élèves au cours de leur formation...

 Des compléments d'informations sont parfois nécessaires pour comprendre certains documents. Une chronologie, une carte, une définition issues du manuel éclairent alors utilement l'élève. Laisser quelques zones d'ombre lors de l'élaboration du dossier documentaire permet de juger de l'esprit d'initiative d'une classe. Quelques livres d'accès facile, une encyclopédie, des dictionnaires sont alors mis à disposition au fond de la salle pour répondre aux interrogations. D'un point de vue pédagogique, ce procédé est à même d'initier les élèves à la recherche d'informations, compétence qui sera largement consolidée dans le cadre des travaux personnels encadrés. Mais, le dossier documentaire peut se suffire à lui-même.

 Aucune instruction officielle ne soumet le traitement du dossier par les élèves à une durée imposée. Ce choix relève de la responsabilité de l'enseignant qui élabore son projet pédagogique. Il peut donc très bien limiter le travail à 1 heure notamment s'il souhaite simplement éveiller l'intérêt des élèves avant d'aborder un thème complexe. Cependant une véritable étude de cas nécessite une certaine ampleur. Sur un thème traité en six heures, lui consacrer de 3 à 4 heures permet une analyse approfondie des documents et permet d'évoquer l'essentiel de la problématique du thème. Le restant du temps imparti sert alors pour la contextualisation.

 Une seule étude de cas peut suffire pour traiter un thème, cependant il est possible d'associer l'étude de cas principale à des études cas secondaires analysées plus rapidement. Cette démarche a le mérite d'engager une approche comparative en nuançant les éléments envisagés lors de l'étude de cas principale. Ce choix rendrait inutile une contextualisation si tous les problèmes essentiels du thème ont été envisagés.

En classe de seconde, l'étude de cas intervient aussi bien en cours qu'en modules. Le module peut servir à l'analyse très approfondi d'un document fondamental mais complexe, par exemple des statistiques ou un document patrimonial. Les documents plus simples eux sont abordés en classe entière.

 Une mise en perspective ou contextualisation est le plus souvent indispensable pour que l'étude de cas prenne du sens. Elle permet de confronter les connaissances acquises lors de l'examen du dossier documentaire à une réalité spatiotemporelle plus étendue. Elle répond à trois objectifs :

 

  • valider les notions envisagées dans la phase précédente avec l'ensemble de la classe.

 

  • valider mais aussi nuancer les réponses apportées par les élèves en les rapprochant d'autres situations ou d'autres phénomènes en apparence semblables. Cette comparaison doit permettre de répondre à des questions du type : les phénomènes observés se retrouvent-ils ailleurs ? Sous quelles formes ? La réalité observée correspond –elle à une situation moyenne ou à une situation plutôt exceptionnelle ? Sur la période d'étude du thème peut-on constater des permanences ou des mutations de la réalité observée ?

 

  • aborder avec les élèves des notions négligées lors de l'étude du dossier : « Cette dimension de la mise en perspective doit être maniée avec prudence puisque l'étude de cas vise à l'intelligence d'un thème ou d'une période sans multiplication des faits et des nuances » . Elle doit rester sobre et peut être incomplète. La mise en perspective n'est en en rien une généralisation à petite échelle d'une situation. Ce terme généralisation est d'ailleurs à proscrire car il risque de conduire l'enseignant sur une voie qui l'éloignerait des finalités et de l'intérêt même d'une pédagogie par étude de cas. La mise en perspective est ici plutôt une complexification qui participe de la formation de l'esprit des élèves à la nuance, à l'idée que les réponses apportées ne peuvent être que partielles et parfois partiales.

 

 2 Quel moment pour la mise en perspective?

 La contextualisation va donc du particulier au général, elle permet de réinvestir les notions acquises et l'enseignant doit être vigilant quant à cette acquisition. Il procède à ce moment sous la forme dialoguée ce qui lui permet d'établir les liens avec l'étude de cas. Les problèmes posés, les idées émises lors de celle-ci sont confrontés à d'autres réalités ou à des réalités vues à d'autres échelles.

 Différentes solutions sont envisageables pour mettre en œuvre cette confrontation. En voici deux exemples qui n'excluent pas d'autres possibilités issues de l'imagination des maîtres:

 

  • soit l'étude de cas est conduite sur plusieurs séances jusqu'à son terme et se situe avant toute mise en perspective. L'enseignant part alors d'une synthèse sur le cas étudié pour passer à la contextualisation. Cette démarche est pédagogiquement la plus simple à mettre en œuvre. Elle est la plus claire. Néanmoins une telle formule oblige à des rappels systématiques sur des documents étudiés parfois une ou deux séances auparavant, elle conduit donc à une certaine lourdeur et peut apparaître comme artificielle. Une solution pour établir le lien entre étude de cas et mise en perspective est de confronter un ou des documents déjà analysés dans le cadre de l'étude du dossier documentaire avec d'autres documents dont les informations prolongent, confirment ou infirment les premières analyses.

 

  • soit chaque étape de l'étude de cas donne lieu à une mise en perspective. Cela conduit à des allers et retours entre l'analyse des documents et la contextualisation. Cette démarche est intellectuellement plus satisfaisante. Les apports notionnels interviennent au fur et à mesure des questionnements. Elle permet aux élèves de mettre rapidement en relation le particulier et le général. Elle présente cependant des défauts : elle conduit à scinder le travail au risque que les élèves ne perçoivent plus le fil directeur du cours. Il faut donc penser à faire reformuler par les élèves les problématiques posées. Il faut aussi s'assurer que ce va et vient ne conduit pas à des confusions dans la prise de notes.

 

 

 

Conclusion:

 

Au terme de cette réflexion, l'étude de cas appliquée à l'enseignement de l'histoire apparaît donc comme une démarche qui a une validité épistémologique . Depuis longtemps déjà, ce type d'approche permet de construire de l'histoire. L'enseignant du secondaire ne doit pas éprouver de réticence à l'utiliser sous le prétexte qu'elle ne serait qu'une reprise de ce qui se fait déjà en géographie. Elle présente un grand intérêt : pour chaque thème des approches différentes peuvent être proposées. L'étude de cas peut en partie éviter l'impression de redite ressentie par les élèves lorsque le professeur aborde certains thèmes déjà envisagés en collège. Elle permet aussi de montrer qu'une histoire locale ou individuelle existe, que l'histoire n'est pas que nationale ou mondiale. Par ailleurs l'ampleur historique du programme, la complication des phénomènes de la période rend de plus en plus difficile une approche synthétique valable sur le plan scientifique. Se contenter d'aborder un problème bien ciblé à partir de faits concrets, de parcours individuels est un moyen d'éviter les considérations générales parfois peu à même de susciter l'intérêt des élèves.

 

 

ELEMENTS DE BIBLIOGRAPHIE

1- OUVRAGES GENERAUX :
  • BIZIERE Jean- Maurice et VAYSSIERE Pierre, Histoire et Historiens, Antiquité, Moyen âge, France moderne et contemporaine, Paris, Hachette, 1995.
  • BOURDE Guy ET MARTIN Hervé, les écoles historiques, Paris, Edition du Seuil, 1997.
  • BURGUIERE André (sous la direction de ) Dictionnaire des sciences historiques, Paris PUF, 1986.
  • DELACROIX Christian, DOSSE François et GARCIA Patrick, les courants historiques en France XIX e – XXe siècle, Armand Colin, 1999.
 
2- FAIRE ET PENSER DE L'HISTOIRE AUJOURD'HUI :
  • BEDARIDA FRANCOIS (sous la direction de) L'Histoire et le métier d'historien en France 1945- 1995, Paris MSH, 1995.
  • CHARTIER Roger, Au bord de la falaise, l'histoire entre certitudes et inquiétude, Paris Albin Michel, 1998.
  • LE GOFF Jacques , « Comment écrire une biographie historique aujourd'hui ? »dans le Débat,1989 .
  • L ' Histoire en France, Paris, édition de la découverte, 1986.
  • L'Histoire aujourd'hui, Auxerre, Editions des sciences sociales, 1999.
  • NOIRIEL Gérard, Sur la crise de l'histoire, Paris, Belin, 1996.
  • NORA PIERRE, « Le Retour de l'événement » in Faire de l'histoire. 1, Paris, Gallimard, 1974, p. 300.
  • NORA PIERRE (sous la direction de)., « Les lieux de Mémoires » Gallimard, 1993, réédition, 3 tomes. ( Le tome 1, la République date de 1984, le tome 2, la Nation de 1986 et le tome 3, la France de 1993)
  • PIKETTY Guillaume, "La biographie comme genre historique ? Etude de cas", Vingtième Siècle. Revue d'histoire n°63, Paris, 2000, pp. 119-126.
 
3- REFLEXIONS SUR LA MICROHISTOIRE :
  • GINZBURG Carlo, PONI Carlo, "Il nome e il come : mercato storiagrafico e scambio disuguale", Quaderni Storici, 40, 1979, p. 181-190 (tr. fr. : "Le nom et la manière : marché historiographique et échange inégal", Le Débat, 17, 1981, pp. 133-136).
  • GINZBURG Carlo, "Spie. Radici di un paradigma indiziario", dans A. GARGANI, Crisi della ragione. Nuovi modelli nel rapporto tra sapere e attività umane, Turin, 1979, p. 56-106 (tr. fr. : "Signes, traces, pistes. Racines d'un paradigme de l'indice", Le Débat, 6, 1980, pp. 3-44).
  • REVEL Jacques (sous la direction de) Jeux d'échelles. La micro-analyse à l'expérience. "Hautes Études", Paris, Le Seuil-Gallimard, 1996, avec : Jacques Revel, "Micro-analyse et construction du social". - Alban Bensa, "De la micro-histoire vers une anthropologie critique". - Bernard Lepetit, "De l'échelle en histoire". - Marc Abélès, "Le rationalisme à l'épreuve de l'analyse". - Maurizio Gribaudi, "Échelle, pertinence, configuration". - Paul-André Rosenthal, "Construire le "macro" par le "micro" : Fredrik Barth et la microstoria". - Simona Cerrutti, "Processus et expérience : individus, groupes et identités à Turin, au XVIIe siècle". - Giovanni Levi, "Comportements ressources, procès : avant la "révolution" de la consommation". - Sabina Loriga, "La biographie comme problème". - Edoardo Grendi, "Repenser la micro-histoire ?".
 
4- LA MICRO-ANALYSE : QUELQUES OUVRAGES :
  • CERUTTI Simona, La Ville et les métiers. Naissance d'un langage corporatif (Turin, XVIIe-XVIIIe siècles), Paris, EHESS, 1990.
  • DUBY Georges, le Dimanche de Bouvines, Paris, Gallimard, 1973
  • GINZBURG Carlo, le fromage et les vers. L'univers d'un meunier au XVI e siècle, 1976,Aubier histoire, 1980 pour la traduction française.
  • GRIBAUDI Maurizio, Itinéraires ouvriers. Espaces et groupes sociaux à Turin au début du XXe siècle, Paris, éditions de l'EHESS, 1987.
  • LE GOFF Jacques , Saint Louis, Paris, Gallimard, 1996